Henri de Régnier Odelette
Un petit roseau m’a suffi Pour faire frémir l’herbe haute Et tout le prè Et les doux saules Et le ruisseau qui chante aussi; Une petit roseau m’a suffi A faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l’ont entendu Au fond du soir, en leurs pensées, Dans le silence et dans le vent, Claire ou perdu, Proche ou lointain... Ceux qui passent en leur pensées En écoutant, au fond d’eux-mêmes, L’entendront encore et l’entendent Toujours qui chante.
Il m’a suffi De ce petit roseau cueilli A la fontaine où vint l’Amour Mirer, un jour, Sa face grave Et qui pleurait, Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l’herbe et frémir l’eau; Et j’ai, du souffle d’un roseau, Fait chanter toute la forêt.
Georges Jean Chevauchée sidérale
A cheval sur ma fusée Partons pour les galaxies Cueillir des fleurs étoilées dans les nocturnes prairies
Adieu, les maisons, les prés L’HLM et le verger!
A cheval sur ma fusée
Partons pour les nébuleuses Cueillir des pommes dorées Dans les régions ténébreuses.
Adieu, l’école et l’hiver La rue, le chemin de fer!
A cheval sur ma fusées Partons pour le fond du ciel Cueillir la roue du soleil Qui fabrique les années.
Adieu les gens qui s’ennuient Dans la peau couleur de suie!
A cheval sur ma fusée Partons de l’autre côté Cueillir des chansons nouvelles Sur des arbres d’étincelles.
Adieu, les bruits, la poiussière Et les odeurs de la terre!
A cheval sur ma fusée Partons vers la voie lactée Cueillir songes et merveilles Avec des joies sans pareilles.
Adieu, chagrins et douleurs Mal de dents et mal de coeur!
A cheval... mais attendez J’en ai trop à raconter
On dira ce qu’on a vu Quand on sera revenus!
J. Rivet Ailleurs
Dans ce pays, quand le petit garçon cueillait des étoiles, elles saignaient. les chevaux avaient des ailes et les arbres nageaient dans l’eau du ciel. On cultivait le rêve, on le semait, on le moissonnait et on l’engrangeait; ce qui fait que, lors des “bonnes années”, on pouvait manger autant de rêves que l’on voulait. Quand un rêve mourait, on l’entrerrait dans des cimetières sans portes et sans tombes. Dans ce pays, il suffisait de dire bonjour pour que le bonheur existât. Il suffisait de dire soleil pour qu’un soleil naquît.
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Paul Fort Le ciel est gai, c’est joli mai
La mer brille au-dessus de la haie, la mer brille comme une coquille. On a envie de la pêcher. Le ciel est gai, c’est joli Mai.
C’est doux la mer au-dessus de la haie, c’est doux comme une main d’enfant. On a envie de la caresser. Le ciel est gai, c’est loji Mai.
Et c’est aux mains vives de la brise qui vivent et brillent des aiguilles qui cousent la mer avec la haie. Le ciel est gai, c’est joli Mai.
La mer présente sur la haie ses frivoles papillonnées. petits navires vont naviguer. Le ciel est gai, c’est joli Mai.
Paul Fort Le bonheur
Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. le bonheur est dans le pré, cours-y vite. Il va filer. Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer. Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite, dans l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer. Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite, sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer. Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite, sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer. De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite, de pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer. Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute par-dessus la haie, cours-y vite! il a filé!
Charles le Quintrec La pluie
La pluie se prépare au déluge Torches de ciel s’en sont mêlées Bois revêtus d’étranges housses Terreur de leurs branches brisées Je les invente au pas de course.
Ô quelle étrange mécanique Ouvre le ciel aux sangliers? Loups et renard se précipitent Blaireaux de même, en vérité! La forêt boit la pluie torride Que c’était beau, l’apocalypse!
La pluie se prépare au déluge Et le ciel craque sans un cri Bois revêtus d’étranges housses Riches d’oiseaux à l’infini
Le verbe amour fait que la pluie Me donne songerie plus douce. .
Charles Dobzinski L’horloge
L’horloge de chêne tricote avec ses aiguilles de fer un invisible pull-over et le temps lui sert de pelote.
Maille à l’endroit, maille à l’envers, le temps lui file entre les doigts, fil de neige pour les jours froids et fil d’herbe pour les jours verts.
Une heure noire, une heure blanche, crochetées et croisées sans trêve, l’écheveau des nuits et des rêves se dévide au bout de ses branches.
Qui portera ce vêtement qu’elle tisse avec tant d’adresse, sa laine douce est la caresse de quel hiver, de quel printemps?
Elle tisse car le temps presse, maille blanche sur maille noire, en ignorant que la mémoire défera les fils qu’elle tresse.
Elle a beau nouer et lier le fil qui se perd et se casse, nul jamais n’a pu s’habiller de la laine du temps qui passe.
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